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En 2009, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration du bâtiment, une exposition du peintre, graveur et sculpteur François Morellet supposa le début d’un ensemble de rencontres entre l’architecture du Couvent de la Tourette (Eveux-sur-l’Arbresle, 1956-59) de Le Corbusier et l’art contemporain. Ultérieurement, les différents espaces du couvent ont accueilli l’œuvre de Vera Molnar, Stéphane Couturier et Ian Thyson (2010), Alan Charlton (2011), Eric Michel (2012) et, plus récemment, Anne et Patrick Poirier (2013) et Philippe Favier (2014). Ces expositions ont été accompagnées par la publication de catalogues intéressants, avec des articles critiques et d’un extraordinaire matériel photographique.
Eric Michel (Photographie Eric Michel)
Cette initiative, conçue à l’origine par Marc Chauveau, frère résidant au couvent, professeur d’histoire de l’art et commissaire de toutes les expositions, s’inscrit dans le contexte des intenses relations entretenues entre l’architecte, pendant toute sa vie, et les artistes de son époque, mais aussi de la communauté dominicaine avec l’art contemporain. En effet, il est important de rappeler la communication qui exista pendant les années 50’-60’ entre Le Corbusier et le père Couturier, qu’il rencontra lors de son travail à la Chapelle Notre-Dame du haut à Ronchamp (1950-55). Frère dominicain et directeur de la revue L’Art Sacré, il est reconnu aujourd’hui par son grand travail d’ouverture de l’église traditionnelle vers l’art moderne, en ayant été même responsable de nombreux projets qui proposaient un certaine interaction entre l’architecture et l’œuvre de quelques artistes reconnus, comme Henri Matisse dans la Chapelle de Vence (1948-51) ou Fernand Léger et Jean Bazaine dans l’Eglise d’Audincourt (1946-51). Finalement, la responsabilité d’avoir choisi Le Corbusier, en tant qu’artiste et architecte, pour la réalisation du projet et la construction du Couvent de La Tourette retomba sur le père Couturier.
Ian Thyson, Vera Molnar (Photographie François Diot)
Ces expériences actuelles naissent de la considération du couvent lui-même comme une œuvre architecturale capable d’accueillir le travail de certains artistes prêts à dialoguer avec elle. La Tourette n’est pas un musée, un lieu d’exposition classique ou les artistes trouvent à sa disposition un ensemble de parements abstraits et semblables pour exposer leur travail. Bien au contraire, l’œuvre doit dialoguer avec des espaces qui sont préalables, et qui nécessairement influeront la façon de la regarder vers des directions insoupçonnées.
La puissance du bâtiment invite l’artiste à assumer une prise de position, de sorte à éviter que l’œuvre soit écrasé par le lieu, mais en même temps induit une attitude d’humilité et de discrétion. Il ne s’agit pas de remplir le couvent, ni de s’en servir comme d’un faire-valoir. Il s’agit, tout au contraire, d’entrer en conversation1.
Alan Charlton (Photographie George Dupin)
Les artistes choisis sont invités à entrer en résonance avec le lieu, avec sa lumière, son atmosphère et son silence ; avec la rigueur d’un bâtiment pas austère, mais pleine d’humanité. Il faut se perdre, écouter et regarder longuement avec les yeux bien ouverts, de sorte à se laisser toucher par le jeu de la lumière et le rythme particulier de la vie qui l’anime, afin de faire naitre un dialogue capable d’enrichir l’art et l’architecture au même temps.
Ce qui est entrepris à la Tourette est unique sur la scène artistique française. La vocation du lieu traduit en effet ce qui, d’une certaine façon, n’existe nulle part ailleurs : la singularité d’une alliance qui unit architecture corbuséenne, archétype de l’architecture moderne, vie religieuse, vie quotidienne et art contemporain2.
Anne y Patrick Poirier (Photographie Pascal Hausherr)
Finalement, et grâce à l’interaction entre l’œuvre exposée, il est possible de découvrir quelques aspects de l’œuvre de Le Corbusier et de Xenaquis inconnus jusqu’ici, en arrivant même à surprendre les habitants habituels du couvent. En parallèle, et grâce à cette conversation intime, les œuvres exposées trouvent aussi une dimension, une signifiance et densité nouvelles.
Les expositions de ces dernières années ont montré combien les œuvres prenaient place naturellement dans le couvent, tant le dialogue qu’elles instauraient avec l’architecture se révélait juste. Il en résultait un renouvellement du regard, à la fois sur le bâtiment et sur les œuvres. Cette articulation entre un lieu spirituel vivant, la qualité architecturale du couvent el la qualité artistique des œuvres choisies, fait de chaque rencontre une expérience unique. Les œuvres ne sont plus exposées mais « habitent » le couvent. Elles prennent le sens d’un présence dans un lieu lui-même habité3.
François Morellet (Photographie Pierre Arnaud)
À l’occasion du cinquantième anniversaire du décès de Le Corbusier (1965), le couvent accueille entre le 10 Septembre 2015 et le 3 Janvier 2016 l’œuvre du artiste indien Anish Kapoor (Bombay, 1954), exposition inscrite dans la Biennale d’Art Contemporain de Lyon 2015.
Lors de sa visite au couvent, en vue de sélectionner les œuvres destinées à être exposées et les lieux pour les placer, Anish Kapoor a reconnu se sentir ému par le jeu de la lumière dans le bâtiment, et par les textures sincères du béton de ses murs extérieurs et intérieurs, en manifestant les tables du coffrage. L’artiste s’est révélé à son tour sensible aux imperfections de la finition du béton, car elles rendent humaine cette architecture en apparence rigoureuse4.
Anish Kapoor a sélectionné pour cette expérience, en fonction du discours plastique et narratif qui a était désiré dans chaque espace d’exposition, quelques œuvres anciennes et des autres très actuelles. La plus ancienne, Endless Column (1992), s’installe dans une des petites salles du couvent, orientée au Sud, en récréant légèrement dans un intense rouge une des colonnes du bâtiment. Autres espaces du couvent -des salles d’étude et de travail, des salles anciennes universitaires et la salle capitulaire- accueillent des œuvres travaillées avec différents matériels : bois, cire, fibre de verre, silicone, métal et des pigments, toutes basées à son tour dans la couleur rouge. Parfois, il s’agit de structures géométriques de petite taille, comme Moon Shadow (2005), V Shadow (2005) ou Unititled (2015); autres œuvres recréent fragments de chair déchirée, un objet qui pourrait être considéré comme amorphe, en suscitant un discours très intéressant a niveau de la texture avec les murs blancs et rugueux du couvent : Keriah IV (2012), Disrobe (2013), Gold Corner (2014) y une œuvre sans titre de 2015.
Deux pièces circulaires de diamètre semblable provoquent un intéressant jeu de réflexes dans deux espaces très différents du couvent. La première d’elles –Sky mirror (2007)- construit en acier inoxydable et d’un diamètre de 280 cm, se trouve à l’extérieur du couvent, reposant sur le sol, en offrant une image dynamique et déformée des murs extérieurs qui l’entourent. 220 Aluminium Mirror (2001), pièce en aluminium foncé de 234 cm de diamètre, se suspend dans une position centrale d’un parement du réfectoire, en provoquant une intéressante image inversée de l’espace où elle se trouve et des visiteurs qui dans la même se reflètent. Enfin, et en reprenant le jeu des reflets, un énigmatique et petit pièce en fibre de verre intitulé Gold Corner (2014) dématérialise avec son éclat l’un des coins du couloir de circulation entre l’atrium et l’accès au couvent.
Encore deux pièces, de taille considérable, complètent l’exposition. La première d’elles, Spire 4 (2007), un cône curviligne et brillant de 3 m de base et 3 m de hauteur, dialogue dans son placement avec le centralité virtuel de l’église, d’un espace que nous recevons toujours comme symétrique mais qu’en réalité il n’est pas. Enfin, Non-Object (Door), parallélépipède en acier inoxydable du 2008, s’installe dans l’atrium du couvent; la courbure imperceptible et différente de ses quatre facettes octroie des reflets dynamiques très inégaux, plus ou moins déformés, tant de l’espace dans lequel la pièce se trouve comme des visiteurs curieux qui l’approchent.
L’exposition Anish Kapoor chez Corbusier propose la rencontre entre la sensibilité de deux créateurs de formes essentielles, rigoureuses, courageuses, contenues dans le matériel mais libres dans la composition et la forme. Un dialogue nécessaire entre une œuvre fondamentale de l’un des architectes les plus influents du XXe siècle et le travail d’un artiste vivant, actif, qui a révolutionné avec son œuvre le concept d’Installation artistique, en interagissant avec ses pièces risquées dans les espaces ou il participe avec une sensibilité qui excède le simple emplacement des œuvres. Sans doute, Corbusier aurait accepté cette conversation.
Plus d’information dans http://www.couventdelatourette.fr
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1. Frère Marc Chauveau, La Tourette 1959-2009. Le cinquantenaire, Bernard Chauveau, Paris, 2009 (pág 5)
2. Frère Marc Chauveau, « Anish Kapoor chez Le Corbusier » (pág. 4). Dossier de presse 13e Biennale de Lyon. (http://www.couventdelatourette.fr)
3. Ibidem (pág. 4)
4. Ibidem (pág. 5)
Traductions et photographies (sauf les indiquées): Juan Deltell Pastor
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